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Je suis pelleteur

Le temps perdu, le froid néant, absent de toute mémoire, a pris fin avec la lumière, devenue terre et coeurs, peuplée d’animaux dont les humains, tout petits dans l’histoire. Ils se multiplient, vivent et meurent accrochés aux cycles de la terre, dans les lieux les plus hostiles et ingrats, dans le froid, dans la toundra. Ils grattent neige et glace pour manger le lichen, depuis toujours. Sur le chemin de la survie, certains croisent les premiers humains qui les baptisent pelleteurs. Les pelleteurs (caribous) dans le lichen, ont nourri et réchauffé les premiers humains surgis de la nuit des temps. Premiers à repousser la mort, ceux qui parlent avec ou sans mots, poètes sans poèmes, ils transmettent des silences chargés, ce sont les autochtones. Avant même que la grande glace ne fonde, ils ont vécu et sont morts ensemble. Mais voilà que la fin se dessine depuis que les blancs prennent toute la place, plus de 500 ans de lente agonie. Venus du tréfonds de la mémoire ancestrale, les autochtones, qui nous ont sauvé et montré la véritable hospitalité, rétrécissent comme peau de chagrin, unis par le même destin que le caribou devenu symbole de disparition. Les pelleteurs vivaient au bord de la forêt que les blancs anglais ont ravagée depuis des centaines d’années. Vous les urbains êtes bien installés, là où tout n’est qu’ordre et beauté. Du haut de vos tours, de toutes vos sciences et ignorance construites grâce au bois depuis Gutemberg, grâce aux arbres coupés, vous nous demandez de payer la note, la note de toutes vos inconsciences, la note de tout le savoir humain. Avec une légèreté terrifiante, on déconsidère cette culture ancestrale du bois, nécessaire à construire savoir et abris. Quelques emplois perdus, disent avec détachement les Noémi Mercier et Jean-Martin Aussant, grands connaisseurs, et au diable la culture et la connaissance de la forêt, la vie dans les villages depuis 200 ans. Nos caribous ne sont pas urbains, ils disparaissent depuis 500 ans, victimes du savoir propagé par le papier. Bien-pensants citadins, de quel droit réclamer la disparition de cultures et vies avec la forêt pour un simulacre de protection? Les pelleteurs deviennent fantômes et bientôt bêtes de foire. Allez bouquiner dans vos abris, tous de bois, et dites-nous de quelle dévastation viendra votre prochain roman. Nous avons aussi nos sages, pas plus bêtes que les vôtres. Nous avons aussi nos savants qui ne comptent pas que les emplois. Nous avons notre forêt pas virtuelle, notre réalité diminuée, on la partage avec les pelleteurs. Nous avons nos torts ! Et les vôtres ? Les espèces et les cultures meurent trop déjà. N’en sacrifions pas d’autres comme remède à nos incertitudes. 

– Jacques Gagnon, ing., président directeur général d’Imagem